C'est un disque bien attachant que ce "Tribute to Jeanne Demessieux" livré par Hampus Lindwall chez LIGIA. A plus d'un titre.
Hampus est un organiste merveilleux, littéralement débordant de talent et d'énergie, d'une curiosité rare, fou de cinéma et de café Illy... C'est un interprète chevronné que les difficultés ne rebutent pas. Il s'est fait une spécialité de l'école française du XXème siècle : Dupré, Demessieux donc et Falcinelli Mère avec qui il a travaillé. Il a donné la "Guitare enchantée" à Saint-Eustache : la pièce est d'une redoutable difficulté mais sonne très bien -rien d'un tour de force sans âme...
C'est un improvisateur vraiment tout neuf, bouillonnant, généreux et léger, puissant et irrésistible, qui n'a peur de rien, même d'improviser après une improvisation de Jean Guillou à Saint-Eustache, ce qui aurait pu paraître quelque peu présomptueux dans le cadre du même concert hommage à dame Rolande, mais fut une réelle réussite qu'on peut entendre sur son site...
Lointain successeur de Jeanne Demessieux à l'orgue du Saint-Esprit à Paris, il avait donné un superbe concert à la Madeleine en hommage à la compositrice qui y fut titulaire sur la fin de sa vie, y laissant des enregistrement inouïs de classe et d'élégance. François-Henri Houbart, confrère en succession, lui confia l'idée de ce disque enregistré sur les deux instruments de la Maestra. Excellente idée !
Donc, ce disque est vraiment très bien : je trouve que c'est le premier disque Demessieux dans lequel l'organiste donne une vision personnelle de cette musique toujours neuve et inhabituelle, et interprète véritablement. Il ne fait pas que jouer parfaitement, dogmatiquement, ce que la compositrice demande comme pu le faire, avec un talent incomparable, Stephen Sharp dans son intégrale superbe. Ici, Hampus Lindwall adapte les régistrations à la splendeur de l'orgue de la Madeleine ou à la taille bien plus réduite de son instrument de Daumesnil. Il adopte un tempo souvent rapide mais surtout étonnement nerveux, vif, sec et précis (superbe réussite pour le "Te deum" qu'on a beaucoup entendu mais qui est ici comme récuré, déblayé) qui rend honneur à la puissance de la musique très cérébrale de Demessieux; aux harmonies tourmentées mais aussi somptueuses (choral "Attende domine").
Le cerveau de Jeanne Demessieux aurait été un sujet d'étude passionnant : enfant prodige, couvée par Dupré jusqu'à ce qu'elle jaillisse toute armée sur la scène de Pleyel (et oui, il y avait un orgue digne d'intérêt), disciple répudiée finalement ravagée par la maladie. Cette frêle femme laisse une œuvre d'une incroyable complexité, d'une puissance presque surhumaine, d'une force de conviction à toute épreuve... Pour autant, Hampus souligne la simplicité de la femme...
Un court concert au Saint-Esprit permettait à Hampus -comme dans une bande annonce de cinéma, ainsi qu'il le soulignait- d'asséner au public les plus spectaculaires moments de son disque : Te deum, Étude sur les octaves et Attende domine... Un si petit orgue, si bien conduit, dans des œuvres si étonnantes, qui produit un tel moment de belle musique... Ça en rendrait jaloux d'autres plus grassouillets (des orgues)...
Quel talent !