L'orgue de saint Pierre d'Epernon (28)

Tumultueuse histoire que celle de cet orgue.
Primitivement juché sur une tribune, il en est tombé pendant un bombardement, avec une partie de l'église en 1944. Reconstruit avec un tas de pièces éparses dans le choeur une dizaine d'années plus tard par Reinburg, il n'a jamais fonctionné correctement. Danion- Gonzalez y intervient en 1974, sans grands résultats. L'organiste (pas l'actuel) décale certains jeux, bidouille à droite et bricole à gauche, ce qui finit par aboutir à un projet de remplacement de l'instrument. Jusque là, rien de bien nouveau, des orgues "poubelle" il y en a un sacré nombre.

Mais le remplacement d'un orgue d'une quinzaine de jeux, c'est pas toujours facile à financer, surtout pour une petite commune qui a bien d'autres dépenses à assurer (des dépenses plus rémunératrices en terme d'élections, aussi.) Et le projet s'est enlisé.
Nous avons réussi à convaincre l'équipe municipale et l'équipe associative d'un projet de renovation systématique, conservant ce qui peut l'être, et en ne laissant rien passer de fondamental au fonctionnement. Ce travail s'est étendu sur une huitaine d'années, l'orgue restant en fonctionnement entre chaque intervention annuelle. Le projet est quasiment arrivé à son terme depuis quelques jours, une intervention minime aura peut-être lieu l'an prochain (accord général après stabilisation des jeux et changement de quelques tuyaux de montre 8' intérieurs, vraiment pas beaux visuellement) mais rien de fondamental.
Alors je vous fais le résumé de ce qu'on a entrepris sur cet orgue, et ce qu'on en a obtenu.

Tout d'abord les poumons: il existait un soufflet à deux plis compensés, avec régulation par soupape contraire. La soupape est donc du côté du vent, qui a pour effet de la faire fermer, exactement comme une soupape de notes. Le soufflet n'avait pas de compas d'ouverture et la commande de la soupape se faisait par une barre basculante et un grand ressort de traction.
Inutile de préciser que rien ne fonctionnait, et que des claquements énormes (la table intermédiaire venant emboutir la table supérieure périodiquement, même sans jouer) sortaient de l'orgue, avec l'intensité d'un prie-dieu qui bascule sur le sol.
Les porte-vent étaient en gros Westa de 160. Le sommier étant à registres (avec doubles soupapes sur 30 notes basses soit 86 soupapes par clavier) je vous laisse imaginer le son de l'orgue.
Puis la console: Une console type Gonzalez, transmission électrique dans la tradition Danion, c'est à dire sujette à l'émission périodique de fumeroles et de morceaux de contacts.
Enfin, la composition, maintes fois remaniée était la suivante:
Pédale: Bourdon 16' (emprunt GO)
GO: Bourdon 16', Montre 8', Bourdon 8', Prestant 4'
RE expressif: Bourdon 8', Gambe 8', Doublette 2', Nazard 2'2/3 (à C2), Tierce 1'3/5 (ancien 4'), Trompette, Basson-hautbois.

La soufflerie a complètement été revue, rigidification de la commande de la soupape, porte-vent rigides en bois, anti-secousses sur les deux claviers. Pression environ 90 mmCE

La console a été reprise bien-sûr, avec transmission numérique, transpositeur (voulu par l'organiste), pédale de crescendo et 16 combinaisons ajustables.

La boîte expressive étant montée curieusement tête en bas, elle a été retournée dans le bon sens, ce qui a libéré deux chapes inutilisables avant.
La valse des jeux a commencé par le bourdon 16' en zinc, remplacé par une soubasse en acajou-sapelli (origine Ruche 1930), ainsi que ses sommiers (4) qui ne correspondaient pas aux dimensions plus généreuse des tuyaux.
Le bourdon 16' (le dessus en métal) qui était tout petit (on aurait dit un quintaton amputé de sa bavette) a été remplacé par un superbe bourdon métal (toujours de Ruche) homogène avec la soubasse.
La place libérée par la boîte expressive au GO a reçu une doublette
Au récit, le Nazard a été transformé en flûte 2' et est venu se loger sur la première chape, libérée elle aussi de l'emprise de la boite à l'envers.
Un nazard d'occasion a pris la place de l'ancienne doublette.
La tierce a été sacrifiée et une flûte 4' l'a remplacée.
La place de l'ancien nazard (comme par hasard à C2...) a retrouvé une voix céleste 8'
La chape libre prévue à cet effet a reçu un plein-jeu harmonique II-IV rangs au 1'
Bien entendu, les jeux conservés ont été réparés, détordus, ressoudés, réharmonisés.

Voici la nouvelle composition:
Pédale 32n: Soubasse 16', Bourdon 8' (extension 16)
GO 56n: Bourdon 16' (basses communes avec pédale), Bourdon 8', Montre 8', Prestant 4', Doublette 2'
RE expressif: Bourdon 8', Gambe 8', Voix céleste 8', Flûte 4', Flûte 2', Nazard 2'2/3, Plein-jeu II-IV, Trompette, Basson-Hautbois
Toutes les commodités électriques, 4 tirasses et tirasses automatiques, 3 accouplements II/I

Epernon se trouve entre Chartres et Rambouillet, si vous voulez essayer la bestiole et donner votre avis... (demandez à l'organiste pour qu'il vous ouvre.)

Intéressant ! Vous avez des photos ?

N'aurait-il pas été préférable de placer le plein-jeu au GO, quitte à se passer de la doublette, mais en le basant sur le 2'? Au récit il est charpenté par une batterie de flûtes.
Il faudrait évidemment s'en rendre compte sur place...

Le plein-jeu au GO, ça a été ma première idée, mais en fin de compte, c'est une mauvaise idée. Il ne faut pas commettre l'erreur de raisonner suivant le Werkprinzip, il ne peut pas s'appliquer sur un orgue si petit. De plus la chape libérée par le retournement de la boîte est de 100mm, ce qui exclut de suite d'y placer plus d'un ou deux rangs. Le sommier, qui est bien antérieur à l'orgue (XIX°, peut-être Abbey mais rien n'est sûr) devait avoir, sur cette chape un salicional.
Compte tenu des goûts actuels, le retour d'un salicional au GO était exclu, et la doublette nous a semblé un choix acceptable, pour ses possibilités d'association Bourdon/Doublette pour la musique plus "allemande". (en écho, on utilise alors Bourdon/Flûte2 dans la boîte)

Cet orgue est composé de façon un peu similaire à ce que faisait Merklin tout au début de sa carière en France (je pense à Saint Eugène-Sainte Cécile) c'est à dire un récit que les autres claviers viennent enrichir et renforcer., et non pas un GO plus d'autres claviers pour varier.
Le clavier de récit comporte deux fonds de 8', Bourdon et Gambe, qui peuvent tout à fait jouer ensemble, ce qui donne l'effet sonore d'un diapason, assise suffisante avec la flûte 4', assez limpide (mais non harmonique) pour soutenir le plein-jeu. Comme il se trouve dans la boite, on peut le doser, ce qui n'aurait pas été le cas s'il avait été au GO. Comme la gambe est assez tranchante, on s'aperçoit qu'il est presque inutile de rajouter la flûte 2' avec le plein-jeu: elle est perdue.
Dans le cas d'un crescendo "type symphonique", il est bien évident que l'on joue au GO, le récit étant accouplé en 8', et alors 8/4/2 de principaux au GO sont un bon soutien, avec en arrière plan la brillance du PJ dans la boîte, un peu comme sur un Walker, c'est à dire tout en nuances et en retenue.
Nous sommes à 100 lieues de ce qui se fait en ce moment, où des plein-jeux pourtant magnifiques viennent gâcher tout le reste. Et c'est voulu.

Pour info: Concert ensemble vocal , orgue et quatuor à cordes le 24 Juin à 17h00 à l'église. (organiste: Pascale Melis)

Je suis d'accord avec Richaud pour le PJ. Dans un petit instrument, il faut de toute façon mettre les jeux forts en boîte.
A la limite, vu que c'est électrique, il pourrait être disponible aux 2 claviers.

La transmission est électrique, mais le sommier est à registres (peut-être de Abbey, mais en tous cas du XIX°) Donc sa disposition est "archiclassique", même si sa composition l'est moins. Le seul jeu en emprunt, c'est le bourdon 16'. Pas d'autres jeux balladeurs. Mais si ce sommier n'avait pas existé, il est certain que la mixture et la trompette se seraient promenés.

Bonsoir à tous, les sommiers de cet orgue sont de facture Jacquet, une famille de facteurs établis dans le Meuse et qui a construit nombre d'instruments en Lorraine d'assez belle facture. Ces sommiers ont été placés par Danion-Gonzalez qui avait ces sommiers dans ses réserves à Rambervillers. (Je tiens ces informations de MM. Jean-Marc Cicchero et Gérard Billière, anciens employés de la Maison Danion-Gonzalez)

Eh bien ça fonctionne:

https://youtu.be/du9zHQ37mlM

https://youtu.be/GWaDP9f3ZHk

https://youtu.be/xCsFb6CwH3U

Merci Pierre, je n'aurais pas forcément cherché ces vidéos...