Hier soir, à Notre-Dame, à Paris, Olivier Latry prêtait ses claviers à deux des étudiants du Master 2 du CNSMDP, pour le concert inclus dans leur cursus, dont les interprètes ont la responsabilité du programme et du déroulement.
Il y a quelques années, j'étais allé écouter Jean-Baptiste Monnot au CNSMDP, dans la salle d'orgue qui donnait sans partition, les transcriptions, par Jean Guillou, de l'"Adagio et fugue" de Mozart, de l'"Allegro" de la "Pathétique" de Tchaïkowski et de la "Sonate en trio" de l'"Offrande musicale", avant d'attaquer, avec Matthias Lecomte au piano, le "Cinquième colloque" de Guillou. Ce marathon musical, parfaitement maîtrisé, était suivi par 12 personnes...
Cherchant sûrement à donner une écoute plus large aux prouesses de ses étudiants, Olivier Latry organisait donc ce concert à Notre-Dame. Dans le jury, on reconnaissait MM. Roth et Robillard. Le public, comme toujours à Notre-Dame, était composé d'une grande majorité de touristes, qui passent, stagnent et fuient, prennent des photos au milieu de l'allée, papotent, s'endorment et rentrent à l'hôtel, ce qui fait que l'assistance décroît tranquillement au fur et à mesure du concert ! Surtout quand il finit à 23 heures !
Donc, Sarah Kim ouvrait le feu avec le "Prélude" de la "Suite" de M. Duruflé, la "Fantaisie sur Ave maris stella" improvisée par Ch. Tournemire et transcrite par M. Duruflé, l'"Aria" de Jehan Alain et "debout sur le soleil" de J.L. Florentz. Programme d'une superbe logique, maîtrisé de bout en bout, sans le moindre fléchissement rythmique, sans le moindre essoufflement dans des œuvres très exigeante, très diverses dans leurs particularités, qui posent chacune des difficultés propres et recèlent, chacune un monde poétique idiomatique.
Duruflé, très concentré, très souple, bien registré, tout en fluidité et en puissance. L'interprète prenait son temps, retardait ses attaques et savait lâcher les vannes quand il fallait.
Tout de suite après, la musique de Tournemire s'inscrivait dans une parenté assez évidente mais avec un surcroît de folie, d'imprévu, de surprises du en grande partie au caractère improvisé de l'oeuvre, mais aussi au génie harmonique très personnel de Tournemire, fluide lui aussi mais bien plus audacieux, moins "mielleux" que Duruflé.
L'"Aria" d'Alain, une de ses dernières œuvres, est un de sommets de son catalogue, très parent lui aussi de cette famille modale de l'avant guerre, mais là aussi tellement personnel, avec sa rythmique asynchrone, déhanchée de toutes parts, remplie de glissements, de désaxements, mais en même temps tellement naturelle, comme une sténographie de la danse...
Sarah Kim était l'interprète idéale de cette "étude" des modalités, l'une harmonique, l'autre rythmique, la première impressionniste... La délicatesse du jeu, sûr mais plein de retenue, était le parfait véhicule vers ces terres douces, un peu brumeuses mais aussi, tellement déliées, comme des collines souples, parées de teintes printanières mais parcourues de personnages incongrus, dansant là, festoyant là au banquet d'une fête étrange !
Le clou de la prestation de Sarah Kim était le somptueux hymne "debout sur le soleil", chant de résurrection de Jean-Louis Florentz, pièce merveilleuse de près d'une demi-heure, sorte d'"Ad nos... " du XXIème siècle. La maîtrise technique requise, la puissance du jeu, les superpositions rythmiques que l'auteur demande que l'on soit capable de prouver, sur un temps aussi déployé, sont une prouesse que peu d'interprètes abordent.
Sarah Kim a montré qu'elle est une virtuose complète : elle a admirablement bien rendu cette œuvre totalement prégnante, forte, intimidante, tellement poétique, mélancolique, émouvante, libre et dansante, hors du temps et de l'espace commun, forte et intrépide ! Et tellement pleine de sens, de ceux qu'on saisit, de ceux qu'on imagine et surtout de ceux que l'auteur s'est plu, multipliant symboles, allusions, métaphores, à insérer, sans qu'on le sache (les manuscrits sont somptueux et sont aux confins de l'ésotérisme) ! L'émotion gagne souvent l'auditeur aux sons de cette musique, que l'on sait maintenant définitive et sans lendemain, close, mais si ouverte sur toutes sortes d'au-delà qu'on y plonge toujours avec l'assurance d'y puiser de nouvelles sensations.
Etant sorti pour féliciter l'artiste au bas de l'escalier, sur le parvis, j'ai loupé le début du programme de Yohann Tardivel-Erschoff pour saisir, finalement, les "Laudes", du même Florentz, décidément à l'honneur et, sûrement, chaudement recommandé par Olivier Latry qui fut son interprète et à qui l'on doit que le compositeur ait pu mettre au point ses œuvres, ainsi qu'à Saint-Eustache avec Jean Guillou. Ces "Laudes" sont d'une totale nouveauté, d'une fraîcheur et d'une inventivité folles, qualités qu'elles associent à celles de "Debout sur le soleil", à "La croix du sud" et au "Prélude à l'enfant noir". C'était merveilleux d'écouter cette œuvre, avec la cathédrale quasiment vide, silencieuse, loin de la rumeur de la ville et du flot de la plèbe !
Ce concert fut un véritable bonheur.
Sarah Kim se produira à Romans et à Saint-Antoine-l'Abbaye à la fin du mois de septembre.