L'audition de ce jour, à Saint-Eustache, était un privilège de mélomane.
Jean Guillou interprétait la "Sonate pour orgue" de Julius Reubke, compositeur prodige mort à 24 ans, qui fut l'élève de Franz Liszt et qui préfigure, par certains côtés et comme le rappelait le Maître dans sa brève et simple intervention, du haut de sa tribune, le Wagner de "Tristan..." et de "Parsifal", plusieurs années avant leur composition.
Cette oeuvre est un des chefs d'oeuvre romantiques, un déluge tonitruant de puissance dramatique.
Toute la fougue de la jeunesse, toute l'ardeur du romantisme, toute la puissance d'un orgue déchaîné font de cette oeuvre un spectacle gigantesque.
Jean Guillou, dans cette œuvre, laisse toute liberté à son génie de la mise en perspective, digne d'un peintre, du mélange harmonieux des timbres, des oppositions, des mises en valeur et du choc des textures, comme un sculpteur, des affrontements ou des alanguissements des multiples voix de cet instrument fabuleux de Saint-Eustache, à l'instar d'un dramaturge.
Rauques, soyeuses ou boisées, infiniment calmes ou fracassantes, toutes prenaient l'auditeur par la main pour qu'il affronte les forces de la nature et de l'esprit dans un combat homérique.
Cette oeuvre, j'ai déjà dû l'entendre 15 ou 20 fois sous ces voûtes, par cet interprète.
A chaque fois, c'est différent. Une registration différente, un rythme appuyé ici, précipité là, et tout change comme lorsqu'un paysage se métamorphose, les perspectives et les horizons se transforment quand le soleil se voile brusquement, comme quand une conversation prend un tour inattendu quand un compagnon change brutalement d'état d'esprit, sous le coup d'une colère violente ou d'un subit regain d'enthousiasme !
J'ai vraiment été submergé par l'émotion que cette interprétation a suscité en moi : une démonstration de parfaite connivence entre un musicien et une œuvre, nouvelle illustration du génie d'un interprète extraordinaire.
Pour Pâques, Guillou joue "Ad nos..." de Liszt.