Ce soir, Jean Guillou, du haut de sa tribune parisienne, donnait sa troisième audition dominicale dédiée à Franz Liszt pour inaugurer l'année du bicentenaire de Liszt. Prétexte quelque peu formel puisque Guillou inscrit souvent ce compositeur, pour lequel il professe une admiration sans borne, au programme de ses concerts. Ses transcriptions des poèmes symphoniques 'Orpheus" et "Prometheus" sont devenues des classiques du genre. Sa version qui mêle la version de piano à la version d'orgue du "B.A.C.H." est un cheval de bataille recherché par les virtuoses. Il avouait, l'autre soir, que "Weinen Klagen..." ne lui parle pas.
Donc, il y a trois semaines, Guillou jouait "B.A.C.H" et une partita de Bach, la semaine suivante il jouait ses deux transcriptions et, aujourd'hui, "Ad nos..." ! Un vrai festival ! De purs moments de grâce, de superbe élégance, de pensée aboutie et toujours en mouvement, de création de l'instant nourrie d'une réflexion longue et profonde, de culture, de science de l'architecture, d'un sens dramatique accompli !
Même si, depuis 15 ans, j'ai entendu, au moins, 20 "Ad nos..." à Saint-Eustache ou ailleurs, je crois pouvoir dire que chacune des interprétations était une re-création de l'œuvre qui mettait en question les dispositifs établis pour l'interprétation précédente, explorant de nouvelles pistes, mettant en valeur des aspects jusqu'ici laissés dans l'ombre ou traités d'une autre manière, registrés autrement, placés dans une nouvelle perspective, éclairés d'un nouveau timbre... Que ce soit un motif, une séquence, des passages entiers, rien n'échappe au regard scrutateur de l'interprète qui ré-évalue sans cesse son ouvrage.
L'œuvre, dans sa richesse, devient d'une souplesse qu'on n'aurait pas imaginée, se laissant faire, se prêtant même de bonne grâce au travail de l'interprète, qui la passe au filtre de sa personnalité.
L'"Ad nos..." de ce dimanche était particulièrement émouvant, encore autre, toujours renouvelé. A titre d'exemple, l'épisode final, qui pourrait être une débauche sonore qui proclame l'harmonisation majestueuse du choral de Meyerbeer, laissait encore la place pour un crescendo qui faisait écho à l'ouverture de ce poème symphonique fastueux, 30 minutes plus tôt, pour aboutir à un accord libératoire et somptueux de puissance, de profondeur et de richesse harmonique.
On sort de ce moment ragaillardi, plein d'énergie pour la vie, transporté sur l'autre versant des choses, confronté à plus grand que soi !