Après Orpheus et Prometheus que Jean Guillou a transcrits pour l'orgue dans les années 1980, le Maître réitère l'exercice et aborde "Tasso, lamento e trionfo".
Il en a réalisé tout récemment une adaptation à l'orgue.
Ce poème symphonique, je cite la notice de l'enregistrement que je possède, fut conçu d'abord comme une ouverture devant servir d'introduction au "Torquato Tasso" de Goethe, joué le 28 août 1849 à la cour de Weimar. "Tasso", dans cette première version, ne connaissait que deux idées force : les souffrances du poète durant son existence (lamento) et sa reconnaissance triomphale après sa mort (trionfo). Le thème principal, transformé de telle façon qu'il puisse à la fois exprimer le lamento et le trionfo, provient en fait d'un chant de gondolier entendu à Venise en 1838 et déjà utilisé dans le recueil "Venezia e Napoli" de 1840. Dans les révisions de 1851 et 1854, Liszt ajoute une partie médiane contrastante qui permet une transition beaucoup plus souple entre la tristesse du début et la joie de la fin.
Le Tasse est en effet un des poètes préférés de J. Guillou, qui affectionne tout particulièrement la poésie de la Renaissance et son ton pastoral : outre sa passion pour le Roland furieux de l'Arioste, le musicien avait déjà avoué avoir envisagé un opéra basé sur la Jérusalem délivrée du Tasse. Le rapport du musicien aux poètes rares ou oubliés n'est plus à rappeler : L'infinito d'après Léopardi, Peace d'après G. Manley Hopkins..., sans oublier les arguments "après coup" élus par le compositeur pour ses œuvres (le Tour d'écrou de H. James pour les Scènes d'enfant...) ou ses propres poèmes pour Écho ou Aube.
Que ce soit pour les Tableaux d'une exposition ou pour les œuvres de Liszt qu'il a transcrites, Guillou a souvent mentionné que, face aux effets de crescendo de l'orchestration ou aux périodes étales caractéristiques de l'écriture du piano -qui joue avec la résonance et peut enchaîner de longues périodes d'accords plaqués (comme dans la Grande porte de Kiev), le transcripteur se trouve dans l'obligation "d'enrichir" le tissu musical en développant le contrepoint, en ajoutant des passages arpégés, diverses figures inspirées par le profil des thèmes, prouesses virtuoses tout droit issues du caractère même des œuvres (référez vous au crescendo final du Prometheus à l'orchestre se trouvant "traduit" par une impressionnante cascade d'accord qui ravage le clavier de bas en haut avant de retomber sur le La conclusif ou aux arpèges de harpe bien sages de l'Orpheus à l'orchestre, transformés d'une façon annonciatrice du dernier Liszt dans la version pour orgue).
On imagine, à l'audition du Tasso original, l'illustration organistique que ce musicien éruptif pourra en donner (les épisodes solistes, les crescendi, l'hymne final...)...
Quoi que...
Les récentes improvisations dominicales, les dernières œuvres (Chronique pour percussions, la musique de scène pour MacBeth, Regards...) ayant démontré, une nouvelle fois, un tel renouvèlement du langage du Maître, on peut s'attendre à être toujours surpris !
Nous pourrons découvrir cette transcription, sous les doigts de Jean-Baptiste Monnot, à Saint-Eustache durant l'audition du dimanche 15 janvier à 17h30 -avec le choral "O Gott, du frommer Gott" de Brahms. Un événement rare.